Tassili Airlines à la loupe
Une vingtaine de marchés ont été octroyés de gré à gré :
Le recours au gré à gré dans la passation des marchés publics est tellement fréquent qu’il suscite moult interrogations. Au cours de ces deux dernières années, cette compagnie aérienne, dont les actions sontentièrement détenues par le groupe Sonatrach, a octroyé une vingtaine de marchés de gré à gré. En réponse à une note d’urgence envoyée par le ministère de l’Energie et des Mines, la direction deTassili Airlines a bien établi une liste des contrats conclus de gré à gré au cours de l’année 2009.
Une liste dont nous détenons une copie. Ainsi, l’on trouve toute sorte de marchés, de laformation aéronautique à l’hébergement du personnel navigant en passant par la connexion à internet. Le montant des marchés varie en fonction de l’importance des réalisations et de la durée ducontrat signé.
En février 2009, la compagnie octroie un marché d’une valeur minimale de 5,2 millions de dinars à un provider privé en partenariat avec Algérie Télécom pour un abonnement annuel à internet. La raison invoquée pour justifier un tel choix est que « ces deux sociétés seulement sont présentes sur ce marché. Et le choix s’est effectué sur la base du moins disant pour pouvoir interconnecter les sites aéroportuaires et le siège social ». En mars 2009, Tassili Airlines conclut un marché de coopération pédagogique en matière de formation aéronautique avec Aurès Aviation, pour une durée de deux ans, pour un montant de 22 302 500 DA. Le motif du recours au gré à gré, tel que souligné par la compagnie, est que Aurès Aviation est « le seul organisme ayant l’agrément de la direction de l’aviation civile et de la météorologie ».
En avril 2009, Tassili signe un contrat avec un hôtel pour l’hébergement et la restauration de son personnel navigant à Hassi Messaoud, arguant qu’« il est le seul organisme hôtelier répondant aux normes d’hébergement du personnel navigant ». Est-ce vrai ? Les habitants de Hassi Messaoud ont certainement la bonne réponse. Aussi, en juillet de la même année, Tassili s’offre les services du cabinet international d’avocats conseils Curtis, signant avec lui un contrat d’une année renouvelable. La compagnie motive son choix par le fait que ce cabinet est déjà conventionné avec le groupe Sonatrach. Le cabinet Curtis est en effet désigné pour mener les négociations avec Boeing, qui va fournir à Tassili Airlines quatre avions de 150 sièges pour un montant de 228,49 millions de
dollars.
Boeing, qui a gagné le marché en octobre 2008 devant son principal concurrent Airbus, ainsi que Super Jet International, Embraer, Mitsubishi Aircraft et Bombardier, s’est, a-t-on appris de source très au fait du dossier, montré disposé à négocier et à revoir avec Tassili Airlines les détails de cette offre sans recourir aux services d’un cabinet d’avocats très coûteux. Dans son contrat conclu avec Tassili, le cabinet Curtis applique un tarif journalier de 40 000 dollars. En septembre 2009, un autre marché d’une valeur de 400 000 euros a été conclu avec Flight Safety pour la formation de techniciens en simulateur sur l’appareil Bombardier Dash-8 Q400/200. Une formation d’une durée de quatre mois. Pour Tassili, il s’agit du seul organisme ayant déjà assuré la formation du personnel navigant et technique de la compagnie sur le même type d’appareil.
En novembre, la compagnie recourt à un autre marché de gré à gré. Cette fois, c’est pour remplacer le provider Eepad, défaillant en raison de son conflit avec Algérie Télécom. Le montant annuel du marché est de 200 000 DA. Tassili parle ainsi d’« une solution urgente de secours à travers un prestataire autre qu’Algérie Télécom pour éviter les coupures et bénéficier de la redondance ». Un mois auparavant, en octobre, la compagnie avait lancé une consultation restreinte relative à l’hébergement d’un système d’analyse des données de vol. Lors de cette consultation, l’offre commerciale d’un des soumissionnaires avait été modifiée en pleine séance.
L’offre modifiée…
Pour le chargé de la communication de Tassili Airlines, Karim Bahar, que nous avons rencontré, il n’y a pas le feu. « Un des quatre soumissionnaires avait proposé une offre en deux étapes. Une offre pour la première année, une autre applicable à partir de la deuxième. Lors de l’ouverture des plis, on lui a demandé d’effectuer une seule offre. Ce qui a été faite séance tenante, en présence des représentants des autres soumissionnaires qui n’ont nullement protesté. Car l’opération a été effectuée selon la réglementation en vigueur en matière de consultation restreinte », précise M. Bahar, assurant que tous ces marchés susmentionnés ont été octroyés dans « le strict respect de la procédure ». « L’ensemble des marchés que nous avons évoqué ont été attribués conformément au code de passation des marchés publics et à la directive commerciale A408 R15 du groupe Sonatrach. » La direction de Tassili se défend ainsi et affirme n’avoir « jamais privilégié une quelconque entreprise au détriment d’une autre dans l’octroi de marchés ».
Le gré à gré n’a pas commencé en 2009 à Tassili Airlines mais avant. Ainsi, en 2008 par exemple, Tassili a donné le marché de construction d’un nouveau centre de maintenance de ses aéronefs, composé de deux bâtiments, à une entreprise canadienne (Teknika HBA) pour un montant global de près de 20 millions de dollars.
Le contrôle technique a été confié, quant à lui, à une entreprise algérienne dénommée Soceter. Ce centre a été inauguré par le ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil, en janvier dernier, lequel a assuré que ce hangar d’une longueur de 77,41 m et d’une hauteur de 17,68 m « répond aux exigences réglementaires de la direction de l’aviation civile et de l’IATA ». La construction de cette nouvelle base de maintenance a été critiquée par le PDG d’Air Algérie, Wahid Bouabdallah, qui, dans l’une de ses sorties médiatiques en mai 2009, l’avait qualifiée de « caduque sur le plan économique » en raison d’une base autrement plus importante qui a coûté la bagatelle de 200 millions de dollars à Air Algérie. « Ce que fait Tassili Airlines, c’est de la gabegie et une dilapidation criante de deniers de l’Etat »,